Un bonheur de film de fantômes

 

Hanté par la mémoire de la terreur atomique, le premier long métrage de fiction de Jean-Gabriel Périot s'envole au souffle léger du sens de la vie, ici et maintenant, là-bas et ailleurs.

Ce serait une sorte de petit miracle. On croiserait un type, inconnu. Qui lui-même rencontrerait une vieille dame dans un parc, une jeune fille dans la rue, un grand-père et un enfant dans un petit port.

On serait loin, là-bas, au Japon, mais ici, sur la terre, parmi les humains. Ce serait aujourd’hui, mais le passé serait là, et ses grandes douleurs. Et le temps qui passe, l'enfance qui respire, l’âge qui vient.

Tout cela ne serait ni logique ni nécessaire, mais possible. Il y aurait à rire et à écouter, à manger et à chanter, à se taire et à regarder.

Ce serait un cinéma qui croirait assez à l’immensité des ressources déjà-là, dans un visage, dans des souvenirs, dans la lumière sur un paysage quotidien, dans un échange de regards.

 

Apparition / Disparition  

On ne saura pas pourquoi ce réalisateur français, Jean-Gabriel Périot, connu surtout pour son beau film de montage d’archives Une jeunesse allemande, est allé au Japon. Il y avait réalisé un en 2007 un court métrage bouleversant en mémoire d’Hiroshima, 200 000 Fantômes, composé de centaines de photos du dôme de la ville martyre, dont le squelette continue de se dresser au milieu de la cité depuis le 6 août 1945.

Ce court métrage est projeté avant le début de Lumières d’été, qui commence à Hiroshima, de nos jours. Akihiro, Japonais vivant à Paris, est venu interviewer une dame très âgée, qui a survécu au bombardement atomique. Elle avait 14 ans, elle raconte. Un plan fixe, un maelström.

Plus tard, dehors, le chemin d’Akihiro croise celui d’une jeune Japonaise vêtue de manière traditionnelle, Michiko. Elle lui adresse la parole, le sollicite sans le draguer, lui montre la ville. Elle est peut être la dame très âgée, ou sa sœur morte en 1945.

Il l'accompagne.

Plus tard, ils sont ailleurs, dans un port. Sur la jetée, un grand-père pêche avec son petit fils, ils invitent Akihiro et Michiko chez eux. Il y aura une fête. Des conversations. Du vin. Une disparition.

 

La mélancolie et l'espoir

Lumières d’été est un film de fantômes, des fantômes qui, sans occulter les horreurs passées et présentes, aident à vivre sa vie. Pour son premier long métrage de fiction, Périot semble découvrir pas à pas, plan à plan, un possible espace partageable par la mélancolie et l’espoir. Où? Là, sur l'écran.

Et il apparaît soudain que c’est au fond la même chose, faire le film, vivre sa vie : affaire de distance, d’attention aux autres, d’invention de sa place dans le temps et dans l’espace.

Lumières d’été est un conte, une promenade affectueuse sur un fil si ténu qu’on ne le voit pas, qu’on croit que cette histoire va se rompre, que ces situations vont s’écrouler, que ces personnages à la fois si réalistes et si fantastiques vont se désagréger.

Et cette tension participe du bonheur du film, quand la mise en scène, sans tricherie ni effets de manche, fait tenir ensemble ces instants, ces émotions, ces sourires.

Lumières d’été, avec son titre évoquant à bon droit ceux d’Ozu, est traversé de mystères. Mais il ne comporte qu’une seule énigme: pourquoi un film si simple et si beau sort-il un 16 août, moment de visibilité minimale pour cette proposition qui pourrait aisément séduire tant de spectateurs?   

 

Jean-Michel Frodon
Slate
15 août 2017
www.slate.fr/story/149874/lumieres-ete-bonheur-film-fantomes